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Tribunal de Melun : « Je m’excuse… Pour nous, ces enfants étaient riches… »

Des vies de misère, de part et d’autre du prétoire. Deux jeunes prévenus comparaissaient, hier, devant le tribunal correctionnel de Melun (Seine-et-Marne)

Tribunal de Melun : « Je m’excuse… Pour nous, ces enfants étaient riches… »

Isabelle Horlans il y a 16 jours - @Droit et Affaire

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Des vies de misère, de part et d’autre du prétoire. Deux jeunes prévenus comparaissaient, hier, devant le tribunal correctionnel de Melun (Seine-et-Marne) pour extorsion avec violences contre deux adolescents placés en famille d’accueil. Croyant que les jumeaux étaient devenus « riches » grâce à un héritage, les agresseurs leur ont soustrait 8 000 euros.

Tribunal de Melun : « Je m’excuse… Pour nous, ces enfants étaient riches… »
Salle d’audience au tribunal judiciaire de Melun (Photo : ©I. Horlans)

Les épaules des deux frères aux mèches blondes sont collées à celles d’une assistante maternelle qui semble épuisée. Julien* et Quentin*, des jumeaux à la ressemblance étonnante, « ont toujours très peur d’être menacés », dit leur avocate, Me Laura Navarro. Assis à cinq mètres sur leur gauche, Luc*, un Congolais de 20 ans, mains dans les poches, regarde ses souliers : il ne redressera la tête qu’à la barre. Encore plus loin, Benoît*, 21 ans, consulte son téléphone, papote avec sa petite amie. César, le troisième prévenu, ne s’est pas présenté devant la chambre correctionnelle de Melun, ce jeudi 18 avril. Le mineur qui les accompagnait a été condamné par le tribunal pour enfants.

Ces jeunes gens ont un point commun : ils ont grandi au sein d’une famille d’accueil. Les jumeaux ont été placés après avoir subi des violences par un père alcoolique, mort il y a deux ans. L’homme disposait d’un petit pécule, dont ses fils ont hérité. Et c’est à cause de cette soudaine « bonne fortune », pourtant dérisoire, qu’ils ont été harcelés, menacés, battus par leurs quatre compagnons d’affliction. Tellement frappés qu’à l’unité médico-judiciaire, le légiste a déterminé leur incapacité totale de travail à sept jours.

« J’ai toujours été attiré par les phénomènes de groupe »

 Les faits se sont déroulés du 1er avril au 31 octobre 2022. Comme le précise Benoît, qui ne mesure pas leur gravité, « c’est vieux, c’est du passé… » Sans doute n’a-t-il pas écouté le discours au ton martial de Gabriel Attal qui, en matinée à Viry-Châtillon (Essonne), où Shemseddine, 15 ans, a été tué le 5 avril, a réclamé de plus lourdes sanctions contre les jeunes délinquants. Le Premier ministre est allé jusqu’à envisager la comparution immédiate des ados de 16 ans (elle ne concerne aujourd’hui que les majeurs) et une remise en cause de « l’excuse atténuante de minorité », oubliant sans doute qu’elle peut déjà être écartée par les juges des enfants. Quoi qu’il en soit, ce n’était pas le jour pour afficher sa désinvolture à l’audience. Le président Thomas Siccardi, à peine plus vieux que Benoît, a fait montre d’une infinie patience pour amener celui-ci à exprimer quelques regrets : « Même au collège, j’ai toujours été attiré par les phénomènes de groupe », a indiqué l’ouvrier du bâtiment. « C’est après qu’on se rend compte que c’était une erreur », a-t-il concédé. Il se serait donc « laissé entraîner ».

Luc est au contraire pétri de remords. En alternance dans une entreprise, il n’a jamais eu affaire à la justice. Il commence par remercier l’assistante maternelle, installée entre les jumeaux et partie civile, de l’avoir aidé. C’est l’un des paradoxes du dossier : victimes et suspects ont été hébergés par la même femme. Le deuxième, relevé par Me Navarro, « est qu’au lieu de s’entraider » puisque traversant les mêmes difficultés, « ils se retourneront contre [Julien et Quentin] ».

« Ils ont pris mes clients pour la Banque de France ! »

 Julien et Quentin, héritiers de la modeste somme d’argent, sont alors pris pour cibles. Le harcèlement est permanent, jusque sur les réseaux sociaux, auprès de leurs amis, de leur mère, de la famille d’accueil. Luc : « Oui, en arriver là… Je m’excuse de ce qui s’est passé. Pour nous, ces enfants étaient riches… » Il leur a réclamé 600 euros « pour ne plus être à la rue ». Puis les quatre ont fait grimper les montants extorqués, jusqu’à parvenir à soutirer 8 000 € sous les coups et menaces. « Ils ont pris mes clients pour la Banque de France », s’insurge leur avocate, émue « par l’historique » des jumeaux. « Ils sont terrifiés, répète-t-elle, ils redoutent que cela recommence. » Elle sollicite un renvoi sur intérêts civils pour fixer leur préjudice à long terme. Il sera accordé.

« Une émulation négative »

 « Ce n’était pas bien de notre part, a reconnu [Luc]. Oui, c’est inacceptable, et pour cela vous encourez dix ans de prison », indique aux deux prévenus Manureva Malan, substitut du procureur, ancien commandant de brigade à la Gendarmerie nationale et ex-formatrice à l’École des officiers. « Vous aviez conscience qu’ils avaient peur ! Des témoins ont même parlé de leur “terreur” ! » L’extorsion avec violences « étant parfaitement caractérisée », elle requiert 18 mois de prison, dont six à dix mois avec sursis probatoire de deux ans ; la partie ferme est aménageable. Elle souhaite qu’ils n’aient plus de contact avec les victimes, qu’ils travaillent et les indemnisent.

« Il est vrai que les faits sont graves », convient Me Antoine Renet, avocat de Luc. Son expérience des situations familiales douloureuses le convainc de plaider « un contexte particulier » – la vie misérable de ces jeunes gens aux parents défaillants ou démissionnaires qu’a stigmatisée Gabriel Attal le matin. Il regrette aussi « une émulation négative » qui, on l’a hélas constaté ces dernières semaines et lors des émeutes de juin-juillet 2023, est souvent source de drame. Me Renet déplore « cette fascination pour l’argent » et « le fantasme qu’ils peuvent en profiter », sachant pourtant qu’ils volent des jeunes de leur condition. Il insiste sur « l’absence d’antécédents » et la parfaite « insertion par le travail [de Luc] dans la société ».

Benoît, qui comparaît sans avocat, renonce à se défendre, ne présente pas d’excuses.

Le tribunal condamne Luc à 18 mois avec sursis. Son complice et César, le grand absent, écopent d’une peine identique mais ils porteront un bracelet électronique durant huit mois et seront surveillés jusqu’en 2026. Toutes les interdictions requises sont prononcées.

Benoît rejoint sa compagne en souriant. Les jumeaux paraissent soulagés.

 

* Tous les prénoms ont été modifiés

Tribunal de Melun : « Je m’excuse… Pour nous, ces enfants étaient riches… »
Me Antoine Renet devant la chambre correctionnelle de Melun le 18 juin 2024 (Photo : ©I. Horlans)