Actu-Juridique

Quand Churchill offrait un tout petit bout de Londres à la Yougoslavie

Si vous étiez la princesse Alexandra de Grèce et que vous habitiez Londres en juillet 1945, alors vous auriez été plus qu’embêtée sans le pragmatisme de

Quand Churchill offrait un tout petit bout de Londres à la Yougoslavie

Raphaël Costa il y a 17 jours - @Droit et Affaire

0

Si vous étiez la princesse Alexandra de Grèce et que vous habitiez Londres en juillet 1945, alors vous auriez été plus qu’embêtée sans le pragmatisme de Churchill… Explications.

Quand Churchill offrait un tout petit bout de Londres à la Yougoslavie
Photo : ©AdobeStock/kbarzycki

Cette année-là, Pierre II, le jeune prince héritier de Yougoslavie est exilé à Londres depuis que son pays a été envahi par les nazis il y a quatre ans. Il y rencontre la Princesse Alexandra qui attend leur bébé. Seulement voilà, pour que leur enfant puisse un jour accéder au trône de son père, il doit être de nationalité Yougoslave. Et pour cela, la Princesse doit impérativement accoucher en Yougoslavie ! Or, malgré le fait qu’en 1945, Tito a viré les Allemands, le retour du monarque dans un pays maintenant communiste n’est pas envisageable…Que faire ?

La suite 212 du Claridge’s 

Le 17 juillet 1945, la Princesse Alexandra sent que l’accouchement approche et que son royal baby va naître à l’étranger… Pierre II fait alors appel à leur voisin de palier Winston Churchill. En effet, depuis son exil, le prince yougoslave réside suite 212 de l’hôtel Claridge’s, où vit également le Premier ministre britannique. Ce dernier a alors une idée : il déclare la cession de la suite 212 à la Yougoslavie, pour 24 heures : le temps pour Alexandra de Grèce de mettre au monde le Prince Alexandre. Et pour que personne ne puisse contester la naissance du Prince « sur la terre sacrée de ses ancêtres », Churchill – qui préférait que la famille royale reprenne la tête de la Yougoslavie plutôt que Tito – fait placer de la terre venant de Yougoslavie sous le lit où accouche Alexandra.

C’est ainsi que 175 mètres carrés de Londres (la superficie de la suite), sont devenus yougoslaves  le 17 juillet 1945 afin que le Prince Alexandre puisse l’être aussi. Malheureusement, Tito restera au pouvoir jusqu’à sa mort en 1980, emporté par une gangrène à la jambe gauche. Alexandre II de Yougoslavie (ou Alexandre III de Serbie depuis la dislocation du pays) ne visitera son pays pour la première fois qu’en 1991.

Depuis, la suite 212 du Claridge’s s’appelle la « Prince Alexander Suite ». Si le site ne permet pas de réserver pour le 17 juillet prochain directement en ligne, il semble que le tarif, pour la nuit, soit aux alentours de 10 000 euros. À ce prix-là, j’espère que la terre sous le lit « Empereur » a été nettoyée depuis…

À moins qu’il n’y ait jamais eu de terre sous ce lit…Il est difficile en effet, malgré la présence partout de ce micro-épisode historique sur le site de l’hôtel, d’en certifier la véracité. Ni les archives personnelles de Churchill, ni les archives parlementaires britanniques n’en portent la trace. La presse de l’époque n’en dit rien non plus…

Incontrôlable Churchill

Et aux archives nationales, le seul document daté de 1945 qui mentionne la Yougoslavie et le Claridge’s est une lettre signée du Dr. Protitch, un conseiller à l’ambassade londonienne yougoslave qui s’adresse au Ministère des affaires étrangères : « J’ai l’honneur de vous informer que Sa Majesté la Reine Alexandra a donné naissance à son fils à l’Hôtel Claridge’s… ». Rien sur cette histoire de transfert territorial… Et les biographies de référence de Churchill ou de Georges VI, alors Roi d’Angleterre, n’en font pas mention non plus. Sans compter qu’il est impossible, sans accord du Parlement, de céder une portion du Royaume-Uni…

Pourtant, interrogé en 2016 par la BBC, Alexandre II de Yougoslavie est formel :  son père se vit bien remettre à l’époque un « document de cession temporaire de territoire de la suite 212 ». Malheureusement, toute la documentation de son père datant de l’époque, y compris des correspondances avec Churchill, Roosevelt et Staline a, d’après lui, disparu depuis. Mais il en veut pour preuve qu’à sa naissance, il n’a jamais reçu de certificat de naissance ni de passeport britannique, mais des documents yougoslaves, comme s’il était né là-bas. La BBC conclut qu’effectivement seul un passeport yougoslave lui fut délivré. Normal, répond Alexandre « puisque je suis techniquement né en Yougoslavie ! ». Cependant, il fut naturalisé britannique à l’adolescence, Tito ayant rendu impossible sa faculté de voyager avec un passeport yougoslave.

Si d’après Alexandre, la cession temporaire de la suite fut décidée deux mois avant sa naissance lors d’une rencontre entre son Père, Churchill et le roi Georges VI, les historiens concèdent que c’est plutôt la repartie incontrôlable de Churchill, durant cette réunion, qui est à l’origine de cette faveur diplomatique !