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Plan de lutte contre la fraude fiscale : bilan d’étape à un an

Le gouvernement dresse un bilan positif de son action de lutte contre l’évasion fiscale avec nombre d’innovations mises en place. En mai 2023, Gabriel

Plan de lutte contre la fraude fiscale : bilan d’étape à un an

Frédérique Perrotin il y a 11 jours - @Droit et Affaire

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Plan de lutte contre la fraude fiscale : bilan d’étape à un an
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Le gouvernement dresse un bilan positif de son action de lutte contre l’évasion fiscale avec nombre d’innovations mises en place.

En mai 2023, Gabriel Attal avait présenté son plan de lutte contre la fraude fiscale. Ce plan s’intégrait dans une feuille de route ambitieuse avec comme objectif de s’attaquer à toutes les fraudes aux finances publiques, qu’elles soient fiscales, sociales, douanières ou qu’elles visent à capter indûment des aides publiques. En mars 2024, le gouvernement dresse un premier bilan des actions menées. « Lutter contre les fraudes c’est garantir aux Français que les deniers publics sont bien utilisés et que les impôts sont recouvrés. Je me porte garant de la bonne mise en œuvre de ce plan de lutte contre toutes les fraudes, initié par le Premier ministre. Je continuerai à l’enrichir, à l’adapter à la menace, grâce à la mobilisation de toutes les administrations concernées », a souligné Thomas Cazenave, le ministre délégué chargé des Comptes publics à cette occasion.

Des premiers résultats encourageants

Avec cette feuille de route, l’État a renforcé les effectifs de lutte contre la fraude, déployé de nouveaux outils et durci ses sanctions à l’encontre des fraudeurs, souligne le gouvernement, précisant que d’ici 2027, des moyens exceptionnels seraient déployés grâce à un réarmement humain et budgétaire des services, avec notamment 1 500 agents supplémentaires dédiés à la lutte contre la fraude fiscale, 450 agents dotés de prérogative de police judiciaire et spécialement formés aux cyber-enquêtes et plus d’un milliard d’euros supplémentaire alloué à la modernisation des outils numériques de détection et de lutte contre les fraudes. Moins d’un an après la présentation du plan de lutte contre les fraudes, les premiers résultats sont là. Avec 15,2 milliards d’euros recouvrés en 2023 soit plus 600 millions par rapport à 2022 et 3,5 milliards de plus qu’en 2019, « les mises en recouvrement atteignent un record historique », indique ce bilan d’étape.

Mieux cibler les contrôles fiscaux

« Je m’étais engagé à augmenter de 25 % le nombre de contrôles, notamment sur les plus gros patrimoines, a rappelé le Premier ministre lors de cette présentation : cet engagement est non seulement tenu, mais il est dépassé, puisque nous l’avons atteint dès cette année ! En d’autres termes, l’année dernière, nous avons augmenté de 25 % les contrôles fiscaux, et le nombre de perquisitions fiscales a augmenté de 30 % ». En parallèle de cette intensification du contrôle fiscal, Bercy entend faciliter les démarches de régularisations des contribuables de bonne foi. Depuis la mise en place du droit à l’erreur en janvier 2019, près de 230 000 régularisations sont intervenues en cours de contrôle ; elles représentent 6 milliards d’euros de droits et intérêts de retard régularisés. « Jamais, autant de contribuables n’avaient bénéficié d’annulation de pénalité sur la base de leur bonne foi, se félicite Gabriel Attal. La proportion des contrôles se concluant par une acceptation des contribuables progresse fortement, et représente désormais quasiment un contrôle sur deux ».

Lutter contre l’optimisation fiscale internationale

La lutte contre l’optimisation fiscale internationale se poursuit. En plus de la mise en place d’un impôt minimum mondial pour les multinationales, l’administration fiscale dispose désormais d’une meilleure capacité à détecter les prix de transfert abusifs des multinationales. Parmi les mesures phare du plan présenté en mai 2023 par Gabriel Attal, alors ministre chargé des Comptes publics, les observateurs avaient retenu la création d’une cellule dédiée au renseignement en matière de fraude fiscale grave et complexe et de blanchiment de fraude fiscale. Cette nouvelle entité a été mise en place le 10 mars 2024 au sein de la Direction nationale du renseignement et des enquêtes douanières (DNRED). Elle a pour objectif de s’attaquer aux situations dans lesquelles les outils actuels du contrôle fiscal ne sont pas assez efficaces, comme la dissimulation d’avoirs à l’étranger dans les paradis fiscaux, l’interposition d’entités du type trusts, le recours à des cabinets de défiscalisation et l’optimisation abusive des grandes multinationales. Une centaine d’agents expérimentés y opéreront. Ils pourront recourir aux techniques de renseignement prévues par le Code de la sécurité intérieure comme la mise en place d’écoutes, la captation de données, la pose de balises… Cette cellule sera en activité à partir du mois de juillet 2024.

Intensifier la lutte contre les sociétés éphémères

Parmi les mesures encore à venir, Bercy souhaite mieux lutter contre les sociétés éphémères ou qui organisent leur insolvabilité sans acquitter leurs dettes sociales et fiscales. À cette fin, le gouvernement veut mieux encadrer dans la loi la procédure de transmission universelle de patrimoine (TUP) afin d’empêcher son détournement dans les schémas de fraude. Le gouvernement prévoit ainsi de rendre obligatoire la publication de la TUP exclusivement au BODACC et de doubler le délai légal d’opposition, en le passant à deux mois au lieu d’un mois comme c’est le cas actuellement, afin de permettre aux créanciers, dont les administrations, de faire opposition à cette opération, s’ils le jugent nécessaire. Bercy souhaite également mieux encadrer la procédure de liquidation amiable (procédure de dissolution volontaire d’une entreprise) afin de prévenir son détournement frauduleux, en imposant la production d’une attestation fiscale et sociale préalable. Ce document viendrait compléter la liste des justificatifs obligatoires à fournir lorsque le dirigeant effectue ses formalités de cessation d’activité, comme condition à la liquidation de la société. Parmi les autres mesures à venir, signalons l’exploitation de la facturation électronique pour lutter contre les fraudes fiscales.

Assujettir à la TVA en France l’activité de dropshipping

L’activité de dropshipping est une pratique commerciale consistant, pour un intermédiaire, à acheter un bien situé en territoire tiers et à le revendre en ligne en France sans jamais en disposer physiquement. D’un point de vue fiscal, cette pratique peut aboutir, en raison de l’absence du dropshipper absent du circuit logistique, à ce que la TVA perçue lors de l’importation en France soit assise sur la vente faite par le fournisseur au dropshipper et non sur la vente faite par le dropshipper au consommateur final situé en France. Cette situation aboutit à une absence d’imposition de la marge du dropshipper, laquelle peut être élevée, et alors même que cette marge est partie intégrante du prix acquitté par l’acquéreur final situé en France. Pour y remédier, la loi de finances pour 2024 prévoit que lorsque la base d’imposition de la taxe due à l’importation n’est pas égale à celle qui serait déterminée pour la vente à distance si elle était localisée en France, la personne qui réalise la vente doit être considérée comme redevable de la TVA due à l’importation. Le texte permet également de territorialiser en France certaines ventes à distance de biens importés actuellement territorialisées hors de l’Union Européenne.

Vers une évaluation efficace de la fraude fiscale : le top départ est lancé

Le Conseil d’évaluation des fraudes (CEF) a tenu sa première session le 10 octobre 2023. Cette entité dédiée à l’évaluation du montant des fraudes fiscales, sociales, douanières et aux aides publiques notamment écologiques a pour objectif de mieux documenter et appréhender ce phénomène et d’agir plus efficacement contre toutes les fraudes aux finances publiques. Le ministre délégué chargé des Comptes publics, Thomas Cazenave, a présidé cette première session du CEF, qui a réuni à Bercy une trentaine de participants : directeurs d’administrations, parlementaires, experts internationaux, représentants du monde académique et d’autorités indépendantes. À moyen terme, le CEF doit définir une méthode harmonisée et partagée d’évaluation pour connaître le montant de la fraude. Il s’agit d’amplifier les évaluations déjà effectuées et de mobiliser les meilleures pratiques mises en œuvre en France et à l’étranger pour disposer d’une meilleure évaluation du montant de la fraude. Il doit permettre d’appréhender les nouvelles pratiques et les phénomènes émergents de la fraude, notamment liés au développement du numérique. Le CEF devra permettre de mieux connaître ces nouveaux modes opératoires et d’en évaluer les effets. Enfin, il a pour objectif d’améliorer les leviers de lutte contre la fraude. À l’issue de la première séance, les participants ont notamment convenu d’actualiser les travaux disponibles sur la fraude à la TVA et d’avancer vers une évaluation de la fraude à l’impôt sur les sociétés et à l’impôt sur le revenu. Le Conseil se réunira tous les trois mois. Un bilan de ses travaux est prévu d’ici le mois de juin 2024.

Pénalisation de la mise à disposition de montages et procédés frauduleux

La loi n° 2023-1322 du 29 décembre 2023 de finances pour 2024 a créé un nouveau délit de mise à disposition d’instruments de facilitation de la fraude fiscale qui permet à l’administration fiscale d’engager directement des poursuites pénales à l’encontre des organisateurs présumés d’un montage de fraude fiscale complexe ou aggravé. Cette mesure phare du plan de lutte contre la fraude fiscale, sociale et douanière s’applique pour les prestations de services postérieures à la date de publication du texte de loi au Journal officiel, soit le 31 décembre 2023. Cette mesure a d’abord pour objectif de prévenir les montages internationaux. Les sanctions prévues sont lourdes : trois à cinq ans d’emprisonnement et une amende de 250 000 à 500 000 euros pour les personnes physiques, éventuellement complétés par des peines complémentaires comme l’affichage et la diffusion du jugement, l’interdiction des droits civiques, civils et de famille, l’interdiction d’exercer une profession, de diriger une entreprise, la suspension du permis de conduire, etc. Pour les personnes morales, l’amende est portée au quintuple, allant de 1 250 000 à 2 500 000 euros, avec un grand nombre de peines complémentaires possibles : affichage et diffusion de la décision, dissolution, interdiction d’exercer l’activité professionnelle ou sociale à l’occasion de laquelle le délit a été commis, placement sous surveillance judiciaire, fermeture de l’établissement, exclusion des marchés publics, interdiction de procéder à une offre au public de titres financiers ou à une introduction en Bourse, ou encore interdiction de percevoir des aides publiques.

Une nouvelle peine complémentaire : la privation des crédits d’impôt et réduction d’impôt

En cas de fraude fiscale, des poursuites pénales peuvent être engagées pendant 6 ans à partir de l’année qui suit l’infraction, avec à la clé 500 000 euros d’amende et 5 ans d’emprisonnement. Ces peines et amendes peuvent être portées à 7 ans d’emprisonnement et 3 millions d’euros d’amende pour fraude aggravée lorsque les faits ont été commis en bande organisée ou au moyen d’ouverture de comptes ou souscription de contrats auprès d’organismes établis à l’étranger, d’interposition de personnes ou d’organismes écran établis à l’étranger, d’usage d’une fausse identité ou de faux documents ou d’une domiciliation ou acte fictif ou artificiel à l’étranger. Les peines d’emprisonnement et d’amendes peuvent être complétées par le juge par des peines complémentaires d’interdiction des droits civiques, civils et de famille, telle la suspension du permis de conduire. La loi de finances pour 2024 a ajouté une nouvelle peine complémentaire à cette liste : une privation temporaire des droits à bénéficier des réductions et crédits d’impôt sur le revenu et d’impôt sur la fortune immobilière. Elle peut être appliquée pour une durée maximale de 3 ans, à compter de l’imposition des revenus de l’année qui suit celle de la condamnation. Cette peine complémentaire ne peut être infligée que dans trois cas spécifiques : en cas de condamnation pour fraude fiscale aggravée, pour recel de fraude fiscale aggravée ou pour blanchiment de fraude fiscale aggravée.