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2e édition du concours d’éloquence juridique Jacques Vergès : retour sur un succès

Le 5 février dernier avait lieu la 2e édition du concours d’éloquence juridique Jacques Vergès, dont la finale se tenait au tribunal judiciaire de

2e édition du concours d’éloquence juridique Jacques Vergès : retour sur un succès

Delphine Bauer il y a 11 jours - @Droit et Affaire

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2e édition du concours d’éloquence juridique Jacques Vergès : retour sur un succès
Good Studio/AdobeStock

Le 5 février dernier avait lieu la 2e édition du concours d’éloquence juridique Jacques Vergès, dont la finale se tenait au tribunal judiciaire de Créteil. Un concours pensé par deux étudiants en droit et qui s’adresse aux étudiants mais dont l’intérêt est d’être un vrai concours d’éloquence juridique, avec un travail sur un cas, où il faut appliquer la règle juridique et revenir aux fondamentaux. Le succès a encore été au rendez-vous. Retour sur ce que peut offrir un tel concours aux étudiants en droit de l’UPEC.

Un tonnerre d’applaudissements et des hallalis retentissent dans la cour d’assises du tribunal judiciaire de Créteil. Un moment étonnant là où se jouent habituellement les destins d’accusés. Mais ce soir, c’est un événement spécial qui occupe la salle : la finale du concours d’éloquence Jacques Vergès. Et la gagnante, Johana Montout, étudiante en M2 droit pénal des affaires, vient tout juste d’être désignée par les membres du jury.

Cette année, pour la 2e édition, le concours a fait le plein de candidatures. 130, plus que l’année dernière, preuve que le prix fait son chemin. « Il est en train de devenir incontournable », plaisante à moitié Sofiane Ouzane, l’un des deux cofondateurs, actuellement en M1 de droit pénal des affaires. Ilan Strasbach, son acolyte, en M2 de droit public, renchérit : « Nous avons eu la stupéfaction de voir l’amphi plein à craquer [lors de la demi-finale, NDLR] alors qu’au même moment, un voyage à Miami ou un voyage au ski étaient proposés aux étudiants ». La preuve que la recette a plu. « La particularité de ce concours, c’est que ce n’est pas un concours d’éloquence généraliste, mais vraiment un concours d’éloquence juridique, avec un travail sur un cas, où il faut appliquer la règle juridique et revenir aux fondamentaux », précise Claudia Ghica-Lemarchand, professeure de droit pénal général et de sciences criminelles, qui a joué un rôle important dans le soutien et l’organisation du prix. Ce succès ne l’étonne pas : « la matière pénale attire incontestablement les étudiants, d’autant plus que le droit pénal perd de l’importance du point de vue de l’enseignement académique, ce, par une spécialisation grandissante ». Elle suppose aussi que les étudiants – jusqu’à 1 600 dans les amphithéâtres en première année -, accordent de la valeur aux opportunités de s’exprimer en public, car « le droit est aussi une pratique nourrie d’oralité » et que les oraux se raréfient.

Sofiane et Ilan aussi ont leur petite idée des raisons de l’engouement pour le concours, sans doute en lien avec sa « théâtralité » : « Il existe tout un imaginaire autour de la cour d’assises. Les participants sont en robe dès la demi-finale. Nous leur montrons réellement ce qu’est un procès, loin de l’imaginaire développé par des étudiants souvent biberonnés aux séries américaines », se satisfont-ils. Maître Carbon de Sèze, avocat au barreau de Paris et membre du jury, ne dit pas autre chose. « Le droit est une matière assez aride, et d’un coup les étudiants ont l’occasion de faire vivre cette matière. Eux qui emmagasinent doctrine et jurisprudence toute la journée voient, lors d’un tel concours, une traduction concrète de leurs efforts ».

Défendre la présomption d’innocence à tout prix

Le nom du prix – celui d’un avocat iconique mais sulfureux, à la vie mystérieuse et aux clients plus que contestables – n’a pas laissé indifférent. Mais Sofiane Ouzane en est convaincu, les remous du début sont derrière eux et la qualité de l’événement a pris le dessus. Même impression pour Claudia Ghica-Lemarchand : « Quand le prix s’est lancé, reconnaît-elle, je ne peux pas dire avoir ressenti de la surprise. Mais ce choix un peu polémique a pu en étonner certains. Pourtant incontestablement, au sein du droit pénal, Me Vergès était un avocat qui prenait toutes les causes, même les plus indéfendables, pour défendre la présomption d’innocence ». Personnellement, croisé à l’occasion d’une conférence sur Outreau où il était venu débattre, elle en garde un souvenir positif. « Au-delà de sa fougue d’avocat, il était fin et ouvert à la discussion ». « Dans mon propos introductif lors de la finale, je rappelais encore l’importance de la présomption d’innocence, dont Jacques Vergès était devenu le symbole. Tout le monde a droit à une défense et à un procès équitable », martèle Sofiane Ouzane. Le prix est l’occasion d’un défi intellectuel comme de rappeler ce principe fondamental de l’État de droit. « Il ne faut pas se laisser bousculer par le « tribunal populaire » », estime-t-il.

À ce titre, les deux organisateurs demandent aux professeurs de trouver des cas qui peuvent « susciter le débat public ». « Lorsqu’un étudiant vient dans le public, nous souhaitons qu’il en ressorte satisfait avec des débats intéressants. Cela peut être un dossier relatant une agression violente, un homicide ou une agression sexuelle », précise Sofiane. « Ce sont d’ailleurs dans ces dernières affaires que la présomption d’innocence prend tout son sens, ce qui peut être moins frappant pour le blanchiment ou les homicides », complète Ilan Strasbach. « Le prix Jacques Vergès se positionne résolument en faveur de la présomption d’innocence, un fondement déterminant de notre droit. Avec les affaires Metoo ou Balance ton porc, on retrouve presque la facilité de la lettre de cachet du XVIIIe siècle », met en garde Johana Montout. Cependant, elle ne se montre pas du tout inquiète car elle est convaincue que « nos juridictions maîtrisent parfaitement le sujet. Les juges doivent motiver leurs décisions, les droits de la défense ne sont pas lésés. On peut être emporté par le côté sombre d’un dossier, mais chacun doit voir ses droits respectés », nuance-t-elle.

C’est ce qu’elle a voulu faire dans sa plaidoirie de finale – une affaire d’attouchements présumés d’un professeur envers ses élèves. Dans le rôle d’une avocate, Johana Montout explique avoir développé un argumentaire juridique en deux axes. Le premier, pour instiller le doute. « J’ai dû me demander si les faits avaient véritablement existé », car, souligne – t-elle, « certains des témoignages des adolescentes étaient contradictoires. Ces incohérences se traduisent en droit par le doute, et ce doute bénéficie toujours à l’accusé ». Il lui a donc fallu les faire remarquer, mais « sans incriminer les adolescentes pour autant. On ne peut pas aller au-delà des insuffisances du dossier ». Son 2e axe reposait sur la caractérisation d’une infraction sexuelle : « Il fallait qu’il y ait une connotation sexuelle. Dans ce dossier, les attouchements se faisaient sur des parties du corps non sexualisées », estime-t-elle. Certes, elle a exposé que ce comportement était « désagréable, déviant, qu’il y avait un dépassement de ses fonctions et que l’on pouvait comprendre les victimes ». Toutefois, soutient-elle, « le professeur ne pouvait pas être sanctionné au plan de l’agression sexuelle, faute de contexte sexuel. Parce que juridiquement cela ne tenait pas ». Le dossier était loin d’être facile. Mais « avant de vouloir convaincre les autres, il faut être convaincue soi-même », conseille-t-elle.

« Un concours contre soi-même plus que contre les autres »

Défi intellectuel, plongée dans un cas réel, les motivations sont multiples. Pour Johana Montout, c’était « un concours contre soi-même plus que contre les autres ». Son arrivée en finale l’année précédente avait aiguisé sa détermination à gagner. Au-delà de l’envie de gagner, participer au concours est aussi l’occasion d’acquérir de nouvelles compétences. En effet, « nous proposons une formation juridique aux étudiants en droit pénal, réalisée par l’avocate Fadilla Candar », expliquent les deux fondateurs. Cette formation aborde les bases juridiques, liées notamment aux infractions abordées dans les cas choisis, mais aussi la méthodologie. « Mettre en place une formation avant le premier tour nous a été très fortement recommandé par Claudia Ghica-Lemarchand. Ainsi nous sommes fiers qu’un étudiant de L1, qui n’a donc pas de formation pénale, ait pu participer et même arriver en finale ». Le résultat est sans appel : « rares sont ceux qui – sans avoir suivi la formation – passent le premier tour », confie Sofiane.

Ce partenariat avec les professeurs est une réussite. « Les professeurs nous ont donné des indications précieuses et indispensables », estime Sofiane. Claudia Ghica-Lemarchand remarque : « les étudiants sont très impressionnés chaque fois qu’ils passent un oral. Lors du concours, je leur dis : « il faut le vivre bien car vous vous adressez à des enseignements qui sont de votre côté » ». Cette bienveillance exprimée par le corps professoral aboutit à une forme de collaboration réussie entre étudiants et professeurs, estime Me Carbon de Sèze. Il ne tarit pas d’éloge sur l’initiative, qu’il qualifie de « formidable ».

La force de l’éloquence, mais pas seulement

En plus des compétences purement juridiques, les pratiques oratoires sont améliorées. Me Carbon de Sèze salue le courage des étudiants. « Pour prendre la parole en public, il faut du cran ! », admet-il. Pour y parvenir au mieux, la formation reçue permet de se sentir plus à l’aise. « Nous leur conseillons par exemple de ne pas tenir leur feuille, pour ne pas montrer qu’ils tremblent », illustre Sofiane Ouzane. Un conseil qu’a bien retenu Johana Montout. La lauréate, qui a bénéficié de l’enthousiasme de l’audience de la salle d’assises. « Il ne faut pas être trop théâtrale, mais allier le juridique et l’éloquence ». En effet, les deux fondateurs insistent : « L’éloquence vient servir un développement juridique construit ». Me Carbon de Sèze, jury lors de la demi-finale, abonde : « La langue est l’instrument de votre cause. Trop d’éloquence tue l’éloquence ! ».

Le concours est une étape dans un parcours. Johana Montout, qui ambitionne de devenir pénaliste généraliste puis de se spécialiser en droit des affaires, est convaincue d’en avoir bénéficié, à la fois sur le court et sur le long terme. Elle est également heureuse d’inspirer d’autres étudiants et étudiantes et, ainsi, de diffuser le message optimiste d’une réussite possible à tous et toutes. Elle a d’ailleurs comme modèle Éric Dupond-Moretti et Gisèle Halimi, qui ne venaient pas de familles d’avocats. De nouvelles opportunités de stage lui ont été proposées depuis sa victoire – elle va en débuter un auprès du vice-président du tribunal judiciaire de Créteil – et elle constate qu’« on m’ajoute sur LinkedIn. Cela donne de la visibilité, c’est un bon moyen d’obtenir des contacts ». Et surtout, c’est très formateur : « quand j’arriverai sur le marché du travail, j’aurais déjà fait des plaidoiries ». Me Carbon de Sèze confirme que « sur un CV, c’est un vrai plus. Cela signifie que la personne est capable de s’investir, d’aller au-delà du seul exercice qu’on leur demande ».

Dernier avantage, et pas le moindre : le sentiment d’avoir progressé. « Avant ce concours, j’avais une vision très naïve de la profession d’avocat, je faisais très peu cas de la partie civile. Je pensais qu’il fallait défendre coûte que coûte et que gagner se résumait uniquement par un acquittement ou une relaxe. Je pensais qu’il n’existait qu’une version d’avocats, l’avocat médiatique, l’avocat du lucre », confie-t-elle. À travers le concours Jacques Vergès, elle a compris qu’un aveu est aussi une victoire, soulageant la partie civile, et ainsi que la peine – quelle qu’elle soit – a aussi une fonction « rétributive ». Johana Montout a aujourd’hui une certitude : « Grâce à ce concours, je serai une meilleure avocate »…